Doc et ses partenaires ont souvent été les acteurs de beaucoup d'évènements pas ordinaires. Non pas parce qu'ils les provoquent, mais parce que toujours en recherche d'action et ce besoin de vivre une passion commune inguerrissable. Cet acharnement incessant à mener cette vie sans limite les conduits parfois à heurter un mur, celui du non possible. Accidents, blessures, chance et malchance se mèlent intimement, laissant la vie à certain, l'otant pour d'autres. Etre avec le Doc, c'est accepter celà. Je me souviens quand pour la première fois je m'apprêtais à le rejoindre pour une toute première partie de chasse, un gars m'avait tenu ce discours: "tu vas avec lui? C'est un fou! Un malade! Il a noyé des gens! Il contrôle que dalle! Il s'occupe même pas de toi quand il chasse! C'est un fou!". Ce pensum anti Doc craché à toute vitesse a été le déclic pour moi à cette époque, ce type là était celui qu'il me fallait pour bien vivre.
Il y a quelques années de ça, alors que j'étais au Gabon, il a amené en mer un de ses collègue et ami, Nelson. Celui que Jack Pass a un jour désigné comme un fervent admirateur, s'est retrouvé comme partenaire bien involontaire d'une équipée qui aurait pu être sauvage si le Doc n'avait pas fait montre de ses qualités humaines et physiques. Durant toute cette aventure, il sera par son optimisme celui qui amènera la vie à rester la plus forte, homme de coeur et de corps, toujours prêt à faire la nique à la mort et au désespoir.
Le texte qui va suivre est la relation de 24h chrono d'une lente et longue dérive en plein océan. Nelson est l'auteur de ces lignes. Souvent je lui avais demandé de me les donner. Toujours il hésitait à le faire. Homme de réserve et de pudeur, calme asiatique aux accents de gentillesse et de spontanéité, il a su toujours être celui qui accompagne sans jamais oublier de partager. Je le remercie pour sa confiance, son aisance à l'écrit qui va nous permettre de le suivre à travers cette folle histoire. Nelson, à toi.
S'il y a un pépin qui peut devenir gravissime en plongée c’est bien la dérive en mer …C’est un risque qui doit être connu et évalué par tout plongeur et tout directeur de plongée pour éviter une issue qui peut être dramatique…Je me souviens de Stéphanie,Monitrice de plongée avec qui j’ai partagé des stages de plongée ici et là et qui a disparue entre Bagaud et Port Cros à la suite d’un exercice en pleine eau. Des pécheurs ont retrouvé son corps sept mois plus tard vers l’Ile de Malte. Je me souviens aussi de ce bateau de plongeur qui m’ avait oublié une fois à la balise des Sardineaux après l’ultime appel des palanquées de retour, mais je n’ai eu à attendre que deux heures auprès de la balise le retour du bateau qui s'était enfin rendu compte de mon absence à son arrivée au port de saint Tropez. Je me souviens également de cette plongée aux Maldives « entre Moniteurs » en fin d’après midi avec une dérive de nuit de quatre heures avec heureusement un courant rentrant qui nous a permis de rejoindre l'Ile de Couroumba.
Des angoisses au retour en surface, tout le monde en a eu avant de faire un tour à 360 degrés et d’enfin entre-apercevoir derrière le sommet d’une vague le bateau salvateur! Pour moi le risque d’être perdu en mer a toujours été une obsession au cours de ma vie de plongeur et ce n’est qu’après un entrainement important en comptant les carreaux d’une piscine, quelques randonnées en mer,les six kilomètres de Charavine, le Lac du Bourget du nord au Sud (20km ) que j’ai gagné une certaine sérénité psychologique en mer et une condition physique acceptable malgré mon âge pour pouvoir éventuellement faire face à un remake du film « Open Water ». C’est pourtant l’histoire récente qui aurait pu tourner au vinaigre et qui m’est arrivée à l’âge de 56 ans, que je vais essayer de relater.
Le banc de l’Iris est une large formation corallienne qui correspond à un effondrement de la barrière de corail qui forme le gigantesque atoll qui entoure l’Ile de Mayotte. Le banc de l’Iris et qui s’étend sur une douzaine de kilomètres au nord ouest de l'Ile. L’immense lagon de Mayotte semble se vider et se remplir dans cette zone qui agit comme le bec verseur d’une cafetière à une quinzaine de miles des ilots de M’TZAMBORO eux-mêmes situés à cinq miles de la cote Nord. A l’ouest et par beau temps on aperçoit les cotes anjouanaises qui déversent leur quota de « kwassa -kwassa » frêles embarcations de fortune des candidats à l’immigration clandestine, attiré par l’Eldorado mahorais.On déplore dans cette zone de passage de l4Iris de très nombreux et pathétiques naufrages dont on n’arrive même pas à dénombrer le nombre réel des victimes. Le banc de l'Iris est aussi réputé pour les chasseurs amateurs de sensations fortes pour sa richesse en faune pélagique, de ses courants forts,mais aussi pour son nombre de requins au mètre carré!
C’est donc tout naturellement que ma curiosité de plongeur a été attisée et je me suis mis en objectif d’aller explorer cet endroit. L’opportunité de rencontrer un des papes de la chasse « extrême » locale Yves CAZAL m'a été offerte sur un plateau. C est un peu le concurrent du célèbre Jack PASS qui est l’auteur de nombreux articles pour APNEA. Je me suis réveillé facilement à l’aube vers 5 heures après le premier appel du Muezzin et j’ai quitté Michelle mon épouse après un baiser sur son front ensommeillé, ses conseils de prudence et son rappel de ne pas rentrer trop tard pour le diner retenu a Combani… Rendez vous a été donné à 7 heures du matin sur la plage de M’TZAMBORO avec Abdou un piroguier local et sa barque « Yamaha » avec un moteur de 15 CV un peu poussif, tout notre matériel avec glacière pour le poisson et un jerrican supplémentaire en cas de nécessité…
Le bateau a du mal à se mettre en route, le Baco (pilote du bateau) aussi, il a les yeux rougis on ne sait pas par quoi…sans doute par le bangué drogue locale. On lui demande en bons Médecins, mais il nous assure avec un large sourire aromatisé aux alcools frelatés que tout va bien … Et on est bien obligé de le croire car à 8 heures 30 on est sur l’Iris avec une mer très formée et un mauvais temps avec de la pluie…Je propose mon ciré au Baco frigorifié, mais qui semble désormais réveillé. Les premières immersions sont sans problème il s’agissait pour moi de m’initier à la chasse et de photographier les exploits de Yves et au besoin de l’assister.
J’admire la descente impeccable de Yves dans le bleu avec la fluidité d’un prédateur prolongé par son arbalète dans un geste à l’automatisme parfait et répété des milliers de fois.Bientôt, je n’aperçois que vaguement les deux taches blanches peintes sur les palmes « pour être vu de la surface » qui se fondent doucement dans le bleu sombre du fond dont on distingue à peine les contours flous des madrépores et des tables d’acropores 25 à 30 mètres plus bas. Nous sommes au bord du versant « océan » du tombant de l’Iris qui dégringole par marches successives dans le bleu profond de l’océan indien Un frisson qui vient d’une certaine jubilation mélée à un sentiment d’angoisse me parcoure le corps. C’est certainement la sensation d’être un fétu de paille au milieu de l’océan : un peu le vertige. Brusquement un éclair d’argent surgit du fond et une masse sombre qui se précise progressivement sous la forme de mon ami Yves qui remonte tranquillement en se dandinant d’une façon caractéristique. « Un thon Arc-en-ciel » me précise-t-il. Et il y en a aura trois autres à rajouter dans la glacière dans la demi-heure qui suit.
En alternance avec Yves, je descend beaucoup plus péniblement vers le fond avec mon appareil photo numérique et c’est alors que je me rends compte de deux choses : le ballet incessant de requins de belles tailles qui sont attirés par toute cette agitation, et des batteries déchargées quand j’ai voulu tirer le portrait d’un de ces squales… Yves remonte avec une carangue, deux requins suivent de prés et il tire sur le fil déroulé du moulinet à grandes brassées pour remonter rapidement sa prise et prendre de cours les deux intrus de plus en plus hardis qui ne font demi tour qu’à hauteur de nos palmes…Je reste au dessus de la patate pour marquer le coin pendant que mon ami apporte la prise vers le bateau que l’on n’a pas vu tout de suite à cause des vagues et de la pluie.Je vois plus distinctement des ombres furtives avec des nageoires sur le côté en forme de faux et j’ai hâte que mon ami revienne à coté de moi… Sa présence me rassure.
Par la suite, les prises sont plus rares car pour la plupart elles se traduisent par un nourrissage des squales de plus en plus hardis jusqu'à la frénésie nourricière où trois à quatre requins se disputent simultanément les proies. Le spectacle est fascinant et effrayant …Yves a l’habitude. Moi non.
Première alerte : le bateau n’est plus à proximité alors qu’il maintient un beau Thazard hors de l’eau qui a échappé à la curée des dents de la mer pendant que je tente d’écarter avec le fut du fusil déchargé un requin qui continue à entretenir des prétentions sur le poisson qui a échappé à sa convoitise. Un bruit de moteur poussif semble se rapprocher… Ouf! Le Baco a du suivre le tombant et finit par nous retrouver à notre grand soulagement et il a droit à une bonne engueulade! Il est midi, la glacière est pas mal remplie.On en profite pour faire une pose pour boire un peu d’eau et grignoter du pain d’épice, en même temps que l’on se dirige vers un point relevé sur le GPS portable. Le coin est réputé d’Yves pour ses thons à dents de chien. Il est midi trente, le temps s’arrange, on aperçoit vaguement l’Ilot de M’Tzambaro à 18 km, mais pas la cote mahoraise beaucoup plus loin. Yves décide de sortir la grosse artillerie : un Riffe en bois avec 3 sandows dont la flèche est reliée par un bungee de 30 mètres à un train de quatre petits cylindres de mousse. « C’est pour le gros : pour plus de trente kilos…le thon qui sonde… ça le fatigue… ».
Au moins avec ces bouées de couleur orange, le Baco nous repérera. Lui avait l’œil de plus en plus rouge de fatigue et le repas semblait avoir accru sa somnolence car pendant les préparatifs il avait la tète appuyée sur le moteur Yamaha… Yves l’invective à nouveau et un large sourire sur des dents jaunies par le bangué tente de nous rassurer. Là, le courant nous fait traverser la zone sans avoir à palmer et on alterne six apnées chacun avec cette fois-çi l’arbalète que l’on se passe en relai.
On voit les massifs de coraux défiler en dessous de nous et il y a quelque chose de grisant de planer avec toute sorte de poissons, mais en dessous de la pointure du fusil! On décide de faire une pose.
Tour d’horizon, point de bateau! « Il doit être dans le coin » se hasarde Yves. Je pense en moi-même que la configuration du site est différente : nous ne sommes plus le long d’un tombant mais au milieu d’un plateau qui fait trois kilomètre de large sur douze! Mais il devrait voir nos bouées qu’il ne doit d’ailleurs pas avoir du quitter des yeux! Il nous semble apercevoir un bateau très loin, mais il est à contre courant. On maudit notre Baco en le gratifiant de tous les noms d’oiseau, mais ça ne le fait pas apparaître. On évalue rapidement en homme de terrain la situation et un optimisme démesuré nous met rapidement en action. « Il y a combien vers l’Ile qu’on voit ? 18 km ? Je fanfaronne en disant que j’ai déjà fait plus : le lac du Bourget et en 6 heures 30, je n’ai pas eu le MF2 bien que je fisse les 1500 mètres en 22 minutes! Un calcul rapide nous met au plus à 6 heures de l’Ilot. Il sera 19 heures et on pourra utiliser le portable d’un des campeurs habituer à bivouaquer le week-end pour s’excuser du retard au dîner prévu à COMBANI avec des amis. Pendant quatre heures, on s’est mis à nager avec la régularité d’un métronome sans piper mot,en ne levant la tète que pour rectifier le cap. L'eau est chaude 26 ou 27°,une promenade de santé!
Rapidement, on a vu disparaître le récif de notre vue sous marine grâce au courant qui nous aide en début de parcours, puis plus rien, le vide sidéral avec le bleu profond en dessous. Yves et moi nous sommes reliés pour faire cohésion par le bungee que nous tirons en permanence avec le train de bouées.Parfois on sent une résistance et rapidement on découvre l’utilité de ce moyen pour communiquer ou pour susciter un arrêt.
Il est six heures, le soleil commence à se coucher et un premier point est fait et on s’assied confortablement, comme dans un fauteuil, chacun sur le cordage de 60 cm qui sépare deux bouées qui s’enfoncent complètement et on devise comme au salon et on prend brusquement conscience de l’étendue du désastre.L'Ile ne semble pas avoir grandi d’un poil et semble toujours aussi lointaine et bientôt il fera complètement nuit… On décide de se débarrasser des ceintures de plomb qu’on avait un peu oubliées… mais la radinerie nous empêche de les larguer au fond et on les attache aux bouées… D’ailleurs Yves a toujours son fusil qu’il porte sur l’épaule à la manière d’un soldat. On se dit que quand même le baco a du donner l'alerte… Il en avait les moyens avec les téléphones portables dans nos sacs ou en se rendant directement à la gendarmerie de M’tzamboro et on déplore les réactions de nos épouses respectives qui doivent s’inquiéter à tort!
Curieusement, on gamberge, mais avec un certain optimisme démesuré par rapport à la situation car on ne se rend pas très bien compte qu'on est en train de dériver dans un océan immense à des dizaines de kilomètre de la côte. Parfois quelques pensées furtives sur les requins rencontrés quelques heures auparavant me traversent l’esprit et devraient déclencher une panique délétère chez le naufragé que je suis, ce qui aggraverait la situation… Mais pas du tout: comme s’il existait une certaine indifférence vis-à-vis du sort inéluctable qui nous est réservé…
La nuit est bien là maintenant, il règne une atmosphère grisante, avec un calme étrange et apaisant. La mer n’est plus trop agitée et c’est la pleine lune, on aperçoit même l'Ile de M’tzamboro qui semble un peu s’être rapprochée. J’appelle Yves par le bungee car il prend une mauvaise direction et aussi pour faire le point.Il remarque aussi que l’on a avancé et il remarque même une petite lueur en direction de l’ilot.Un pécheur avec lamparo ? Il pousse des cris dans cette direction, mais rien ne se passe…Impossible d’évaluer la distance de cette lueur d’espoir!
Depuis une heure, j’ai remarqué que l’on voyait à nouveau le fond grâce à la nuit éclairée par la lune, mais le problème c’est qu’on n’avance plus, au contraire j'ai l’impression que l’on recule par rapport au relief sous-marin. « On est sur le banc de la Prudente » m’assure Yves. Il faut continuer à nager sinon on va trop reculer, ce que nous faisons pendant deux heures environ en forçant un peu plus sur notre palmage, en fixant une patate de corail que nous voyons fuir inexorablement vers le devant! Tirage de bungee, briefing. Le désastre! On n’aperçoit même plus la lueur du lamparo et l’ilot est devenu plus petit, le découragement commence à nous gagner lorsque l’on aperçoit soudain les lumières d’un bateau dans la direction de l’Iris.
Il est neuf heures et on pense qu'enfin on est en train de nous chercher… On voit d’ailleurs nettement la lumière d’un faisceau qui balaie la surface de la mer. « On est sauvé! »Pensons –nous. Mais nous n’avions rien de lumineux pour nous signaler et je me maudis d’avoir laissé l’appareil photo sur le bateau. De toute façon il était déchargé… « On n’a qu’à crier quand le faisceau sera dans notre direction »Ce que nous faisons à une dizaine de reprise avec beaucoup de naïveté car malgré le courant et en 8 heures on avait avancé et ce qui nous semble être un zodiac n’est autre que la RIEUSE Aviso-escorteur de la Marine Nationale. On a mis de sérieux moyens en routes! Il n’y a pas de CROSS à MAYOTTE en cas de disparition en mer « hors lagon », c’est la REUNION qui prend le relai apprendra-t-on plus tard. Le manège du bateau dure environ une heure puis se dirige vers nous : il a du logiquement suivre la trajectoire de naufragés en perdition : celle des ilots.
On aperçoit bientôt avec une certaine jubilation les superstructures du navire que l’on peut identifier parce qu’il est connu dans la rade de Dzaoudzi où il a son attache, mais on se sent un peu honteux d’avoir fait déplacer une telle unité…On hurle pour signaler notre présence qui ne devrait désormais point échapper à leur recherche tant ils sont proches : deux cent mètres au maximum! Et c’est alors que l’on entend un haut-parleur annoncer « Fin des recherches »… Et l’on voit incrédule, malgré nos hurlements désespérés, la proue du bateau toute illuminée s’éloigner en direction de la passe de M’tzamboro. Notre désespoir désormais est à la mesure de notre frustration et nous sommes bien restés une demi-heure, silencieux sans nager (et donc à reculer) à regarder les lumières du bateau s’éloigner dans la nuit.
La pudeur nous empêche chacun de nous exprimer sur notre désarroi. « Quelle galère! » Ne peut s’empêcher de clamer Yves. Et nous sommes repartis de concert et sans conviction vers les ilots dont nous devinons les contours qui nous narguent…Vers minuit, nous retrouvons le relief du banc de la Prudente, mais cette fois-ci, il défile dans le bon sens… A la vitesse de notre palmage! Je sens une résistance dans le bungee… Yves a la sous-cutale baissée et s'est recroquevillé vertical dans une position du plongeur délestant sa vessie… Par mimétisme, j’en profite pour faire de-même… Mais ma fermeture éclaire se trouve dans le dos entre les deux épaules… Et je fais désormais l’impasse de me déshabiller complètement pour ne pas uriner dans la combinaison… Au contraire, je commence à avoir froid et très soif et l’estomac me tortille. Une sensation de chaleur me fait du bien pendant quelques secondes… Moi qui est toujours eu horreur de pisser dans ma combi! Et je pense au nombre de fois que nous nous sommes arrêté depuis le début pour cette impériosité mictionnelle depuis le début sans boire et les cours de médecine hyperbare remontent à mon esprit avec cette fameuse hormone de l’anti-diurèse qui est inhibée dès l’immersion…
On doit être dans une logique de bilan hydrique négatif et je me dis que désormais je me retiendrai de pisser quitte à avoir une rétention aigue d’urine à cause de ma prostate déjà tourmentée et de plus j'ai entendu parler de cet « effet bouillotte » de la vessie pleine chez les naufragés… Je ne peux en fait tenir plus d’une demi-heure aggravant à chaque fois mon état de déshydratation...Je pense aussi,en m’humectant les lèvres à l’idée farfelue de boire de l’eau de mer qui est proscrite dans tout manuel du parfait petit naufragé… J’évoque l'idée de boire de l’urine qui est le seul liquide « hypotonique »… Je l’ai lu chez les naufragés du désert… Et là, je manque de boire la tasse tant je ri dans mon tuba à la pensée d’acrobaties rocambolesques pour s’abreuver de telles façons avec mon ami Cazal pour enfin choisir de mourir de soif… Il me semble devenir de moins en moins lucide au fur et à mesure que le temps passe et on sollicite de moins en moins des arrêts pour faire le point, sinon des arrêts pipi de mon ami que je ne demande plus, ayant choisi le réchauffement éphémère de la combi.
Parfois on s’assoupit carrément tout en nageant d’une façon automatique. A plusieurs reprises, Yves se réveille en sursaut en poussant un cris car il a laissé échapper son Riffe heureusement relié au bungee qui permet de le hisser à la surface. A plusieurs reprises, c’est au cours d’un de ces réveils que je me rends compte que des oiseaux de mer (j’ignore l’espèce :des sternes sans doute) ) tournent à grande vitesse autour de nous très excités et nous frôlent le crâne. Effrayants! Comme s’ils avaient déjà devinés en nous des bons morceaux à picorer. Je les chasse avec de grands moulinets avec les bras pour signifier qu’on n’est pas encore mort et ils élargissent le cercle de leur ronde funèbre de quelques mètres pour finir par disparaître.
On fait le point, il est quatre heures et il semble que cette fois –ci la marée montante nous a un peu aidé. Les contours de l’ilot sont plus précis et on commence à voir les reliefs découpés des rochers. On choisit alors de contourner l’ilot par la droite en empruntant l’entrée du chenal qui le sépare des ilots Choisil. C’est un choix risqué, à cause du courant important et dans tous les sens qui est réputé dans cet endroit qui subit la résultante de l’influence de plusieurs massifs iliens et de leurs courants respectifs. On a trois heures devant nous avant la renverse du courant pour rejoindre la plage de l’ilot de M’tzamboro qui semble déjà se profiler derrière un premier éperon rocheux. Autrement c’est à nouveau marche arrière! Cette perspective nous donne un second souffle et de l’énergie pour appuyer sur les palmes, mais rapidement ce sont les crampes qui nous paralysent et me font mal à crier. Curieusement, ce sont des crampes diffuses à tout le corps, pas seulement les jambes. Je sens une tension plus importante dans le bungee… Evidemment, c’est Yves qui me tire maintenant… J’essaie de trouver un rythme pour diminuer cette tension.
A cinq heures, on arrive à l'entrée du chenal et on contourne l’éperon rocheux à ce moment, on se rend compte qu’à nouveau on piétine et qu’il faut s’éloigner du rocher pour être à nouveau aspirer dans le chenal.Le jour se lève et c’est alors que je me rends compte que le poisson pilote qui me suivait la veille était toujours fidèle à son poste devant mon masque. J'ai du le chiper à un requin celui-là! Les iles du nord s'est majestueux et somptueux au petit matin qui se lève! Il est six heures et on aperçoit très nettement la plage à environ mille mètres de nous, il nous semble même y apercevoir une embarcation échouée et un bivouac. Notre calvaire touche à sa fin. On a du mal à atteindre le mini tombant d’environ dix mètres de fond qui borde le récif frangeant et à notre grande surprise, il nous est impossible de franchir la marche du tombant qui a trois mètres de profondeur à peine. Je propose à Yves d’abandonner son matos quitte à venir le récupérer après et de balancer notre va-tout dans un vigoureux palmage crawlé pour rejoindre la plage malgré le courant contraire.
Yves m’explique qu’on risque de s’épuiser pour rien et qu’il ne manquerait pas un dimanche de promeneurs pour nous récupérer dans la zone… Fort de cette certitude, il se met comme un nageur du dimanche à faire quelques apnées car il a repéré de la surface les antennes de plusieurs langoustes…Incorrigible, une force de la nature.Moi je suis épuisé et je me sens bien incapable de descendre à cinquante centimètres sous la surface… Et on continue à vaquer le long du tombant. Le soleil monte très vite au dessus de l’horizon et nous aveugle au milieu des deux rochers que nous avons pris pour cap en direction maintenant de la cote.
Les articulations sont douloureuse, la nuque fait mal à force de scruter notre direction et je m’impose de garder la tète dans l’eau et je vois de drôles de poissons transparents comme dans le film « ABYSS » J’informe Yves de mes hallucinations, mais il a les mêmes. La déshydratation commence à sérieusement atteindre nos neurones et pourtant nous continuons à uriner des litres et des litres aggravant ainsi notre déficit hydrique…Nous pensons confusément à tout cela et nous nous demandons combien de temps on va durer. « Il faut atteindre l’ilot Choisil : on y rencontrera forcément des promeneurs ce Dimanche! » Deux kilomètres avec un courant qui risque de basculer à tout moment d’ailleurs on commence à atteindre le moment de la renverse! Un bruit de moteur pétaradant au loin nous fait encore croire à une hallucination, mais on distingue maintenant bien une barque de pécheur qui passe rapidement à quelques centaines de mètres de nous.On se met à hurler, mais en vain, on entend le bruit du moteur qui s’éloigne « Il y en aura d’autres! » M’assure Yves pour me consoler.
Maintenant, indifférent à mon sort, j’admire les belles formations coralliennes qui sont à une huitaine de mètres en dessous de moi avec une faune irréelle tant elle est belle.Je rencontre une nuée de poissons feuilles que j’ai toujours rêvé de photographier pour leur étrangeté et je me demande si ce n’est pas encore une hallucination de mon esprit brumeux. Je tiens toujours le fil d’Ariane qui me relie à mon compagnon d’infortune et il me prend l’envie délirante de le lâcher comme pour donner une chance à chacun de trouver sa propre voie qui lui permettra de se sortir de ce piège de Poséidon, mais je n’en fais rien. Le dialogue intérieur est important quand on nage et l’imagination est fertile et c’est à peine que j’ai entendu le bruit sourd d’un moteur de grosse puissance tant il me semble incongru dans ce monde de chimères. J’émerge juste la tète pour voir la proue d’une vedette munie des cannes à pèche avec des moulinets monstrueux et le fusil de Cazal qui fait l’essuie glace à la surface de l’eau. Zut! encore un bateau qui nous passe devant! Le bruit du moteur se fait plus grave signe d’une décélération puis plus aigu en soulevant une large gerbe d’eau en faisant un virage à 180°. Il nous a enfin vu! « C’est fini Nelson! »s’écrie victorieux Yves.
Incrédules, les pécheurs de gros nous hissent à bord en se demandant ce que nous faisons là.Le patron du bateau fait même un tour d’horizon pour chercher notre embarcation qui semble-t-il se serait éloignée un peu, mais ne la trouve pas. On lui explique notre mésaventure et a du mal à nous croire En bon méridional il nous propose un Pastis que nous déclinons bien que ce ne soit pas l’envie qui nous en manque. On se contente d’un demi -verre chacun car on connaît les ravages d’une réhydratation trop brutale. Il nous compose le numéro de la gendarmerie et de Michèle. « Il ya quelqu’un qui veut vous parler et vous rassurer! »
Le Blog de Benoît :
http://oceanvoyageur.skyrock.com/